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2012-02-20 01:09

EXCLUSIFComment le PDG d’EDF et le chef de l’Etat s’activent pour parachuter l’ex-ministre à la tête du géant de l’environnement.

Par Éric Decouty

 
Le président Nicolas Sarkozy et le patron d'EDF Henri Proglio à l'île de la Réunion le 19 janvier 2010. (© AFP Gerard Cerles)

Entre le grand patron et le Président ce n’était qu’un petit arrangement entre amis. Un donnant-donnant destiné à préserver les intérêts de chacun à la veille de l’élection présidentielle et d’un conseil d’administration décisif. Nicolas Sarkozy et Henri Proglio, le PDG d’EDF, tenaient simplement à ce que leur deal soit frappé du sceau du secret. Au point que même Xavier Musca, le secrétaire général de l’Elysée semble avoir été tenu à l’écart de la «transaction»…

Les faits sont simples. En début de semaine dernière, Nicolas Sarkozy et Henri Proglio se seraient entendus pour qu’Antoine Frérot, le PDG de Veolia, soit débarqué de la société spécialisée dans l’eau, le traitement des déchets et les transports et remplacé par Jean-Louis Borloo, l’ancien ministre de l’Environnement et président du Parti radical. Ils ont même envisagé que l’affaire soit conclue le 29 février lors du conseil d’administration de Veolia. Proglio comptait ainsi reprendre la main sur son ancienne entreprise, et Sarkozy espérait bien gagner en retour le soutien public du leader du Parti radical.

Si les termes de l’accord paraissent simples, les coulisses sont beaucoup plus complexes. Proglio, tout d’abord. Longtemps patron de Veolia, il tente d’en garder les commandes lors de sa nomination à la tête d’EDF, fin 2009, grâce d’ailleurs au soutien actif de Jean-Louis Borloo, ministre de l’Environnement. Sa double casquette et sa double rémunération ne résistent cependant pas à la polémique, et un an plus tard l’ami du Président, un des principaux convives du Fouquet’s, doit céder la présidence de Veolia à son lieutenant Antoine Frérot. Dès lors les relations entre les deux hommes ne vont cesser de se détériorer. Toujours administrateur, Proglio qui connaît tout d’une entreprise qu’il a modelée, va très vite contester la gestion de son successeur. Frérot, lui, se met en tête de solder le passé et de régler progressivement certains dossiers encombrants laissés par son prédécesseur. La rupture est consommée et, au moment où le groupe des services à l’environnement pourrait afficher 200 millions d’euros de perte, Henri Proglio choisit d’organiser l’éviction d’Antoine Frérot.

sauvetage. Restent les moyens d’y parvenir. Le PDG d’EDF va alors user de son amitié avec Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo en même temps que des intérêts stratégiques du président-candidat. Selon nos informations, le dimanche 12 février Proglio et Sarkozy se rencontrent discrètement à l’Elysée. L’objet de la discussion porte sur le sauvetage par EDF de la société Photowatt, l’entreprise de panneaux solaires installée à Bourgoin-Jallieu dans l’Isère. Henri Proglio s’est un peu fait tirer l’oreille pour racheter la société et reprendre près de 350 salariés avant de céder devant l’insistance du chef de l’Etat. Mais ce dimanche, la discussion entre les deux hommes a tôt fait de glisser sur le «cas Borloo». La réaction de l’ancien ministre de l’Environnement à l’interview du président de la République sur «les valeurs» dans le Figaro Magazine, n’est pas passé inaperçue. Borloo s’est clairement dit en désaccord avec le refus de Nicolas Sarkozy de se prononcer en faveur du mariage gay. Il s’est également déclaré hostile à tout référendum sur le chômage ou l’immigration. «Moi je ne suis pas d’accord», a-t-il dit devant une poignée d’élus de la majorité dans le Nord. Nicolas Sarkozy et Henri Proglio évoquent alors clairement le nom de Jean-Louis Borloo pour prendre la présidence de Veolia, histoire de se «réconcilier» avec un ami.

Mais l’histoire semble s’être vraiment jouée le mardi 14 février, dans l’avion. Proglio et Sarkozy viennent de sceller publiquement la reprise de Photowatt. L’entreprise iséroise est sauvée et Proglio entend bien remettre le dossier Veolia sur le tapis. En substance le patron d’EDF propose à Nicolas Sarkozy d’organiser une offensive visant à convaincre un certain nombre d’administrateurs de retirer le pouvoir à Antoine Frérot. Plus concrètement Henri Proglio compte demander la révocation du PDG de Veolia, lors du conseil d’administration du 29 février et faire nommer dans la foulée Jean-Louis Borloo. Dans l’avion du retour de Bourgoin, Proglio plaide auprès de Sarkozy pour un soutien des actionnaires qataris, qui détiennent 5% du capital. Le président de la République a-t-il téléphoné «à ses amis du Qatar, qui ne peuvent rien lui refuser, dès le jeudi», comme l’affirment certaines sources proches du dossier ? Nulle confirmation ne nous a été apportée. En revanche, les derniers jours de la semaine dernière ont donné lieu à un important lobbying pour convaincre les administrateurs du groupe d’environnement. Alain Minc, proche de Nicolas Sarkozy, aurait au passage été contacté pour «faciliter un certain nombre de rendez-vous.» Toujours selon nos informations, recoupées, au moins cinq membres du conseil d’administration, parfaitement identifiés, auraient rencontré Jean-Louis Borloo, jeudi et vendredi dernier. Parmi eux, Augustin de Romanet, soutien dévoué qui fut son directeur de cabinet au ministère de l’Emploi en 2004.

Sollicités par Libération, plusieurs de ces administrateurs ont confirmé ces rendez-vous, et au moins un d’entre eux aurait exprimé ses plus «froides réserves» quant à «l’opération Borloo.» Reste que ces «rencontres», plus ou moins discrètes, ont largement permis d’éventer le secret, un administrateur étant même convié par Jean-Louis Borloo, vendredi après-midi au siège du Parti radical…

Nul des principaux acteurs de l’affaire ne veut pour autant confirmer les faits. Henri Proglio n’a pas donné suite à notre appel, et Alain Minc s’est contenté de nous répondre qu’on «ne prêtait qu’aux riches». En revanche Jean-Louis Borloo a accepté de s’exprimer plus longuement. S’il dit «tout ignorer» d’éventuels accords entre Nicolas Sarkozy et Henri Proglio, il ne conteste pas certaines rencontres avec des «gens de Veolia». «La seule chose que je peux vous affirmer, dit Borloo, c’est qu’actuellement je suis chassé par deux grands groupes internationaux qui ne sont pas Veolia. Et avec eux, les contacts sont très avancés.» Est-il malgré tout intéressé par la direction du groupe d’environnement ? «C’est une société que je connais bien en tant qu’ancien ministre. Ils connaissent des difficultés et si j’en crois ce qui se dit, il y a un certain nombre d’actionnaires qui pensent que le groupe a besoin d’un calibre à sa tête». Serait-il ce calibre ? Silence !

confidence. Quant à la main de l’Elysée derrière son éventuelle nomination : «Vous voulez rire ? C’est un groupe avec des procédures strictes. Les choses ne se font pas comme ça.» Jean-Louis Borloo réfute également tout marchandage de son soutien à Nicolas Sarkozy et glisse une confidence… «J’ai dit ce que j’avais à dire l’autre jour sur les valeurs. Maintenant, le Parti radical se situe évidemment plutôt dans une famille que dans l’autre…» Bref Nicolas Sarkozy n’a guère de craintes à avoir.

«L’affaire Veolia», quelle que soit son issue pourrait-elle marquer la fin de la carrière politique de Borloo ? «J’ai déjà dit que je ne serai plus ministre. Aujourd’hui, je m’apprête à passer à autre chose.» Une affirmation qui fait rire un de ses amis très proche : «Evidemment qu’il va continuer la politique !»

Enfin, l’entourage du chef de l’Etat, mobilisé hier, par le meeting de Marseille n’a pas donné suite à nos appels.