Valorisation et reconnaissance des traducteurs·ices et interprètes jurées : nous avons besoin de plus
Nous, traducteurs, traductrices et interprètes juré·es intervenant en matière pénale,
et tous les citoyens et citoyennes soucieux et soucieuses du droit à un procès équitable,
constatons ce qui suit :
1. Rôle crucial du travail de traduction et d’interprétation : Des services de traduction et d’interprétation de qualité sont essentiels dans les matières pénales dans un État de droit moderne. Ces services garantissent le respect de la Convention européenne des droits de l’homme, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la directive européenne 2010/64/EU relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales.
2. Manque de reconnaissance : Malgré leur inscription dans le Code judiciaire depuis 2019, les traducteurs, traductrices et interprètes juré·es restent sous-évalués par les pouvoirs publics.
3. Lenteur et bureaucratie : Les retards de paiement dus à des problèmes de personnel au sein du SPF Justice, ainsi que les procédures bureaucratiques et incohérentes sont structurels. L’Examen des dépenses - Frais de Justice de juillet 2023 confirme que la législation manque de clarté et que la base légale est difficilement applicable.
4. Budget non réfléchi : Une fois encore, le budget pour les frais de justice 2023 et 2024 a été sévèrement sous-estimé. Le ministre de la Justice Van Tigchelt avait même envisagé des possibilités d’économie pour l’exercice 2024, notamment sur le temps d’attente des interprètes.
5. Manque de moyens : Aucun budget supplémentaire n'a été prévu pour faire face à l'augmentation du volume de traduction au moment de la suite de la transposition de la directive européenne 2010/64/EU relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales dans la législation belge (loi du 25 avril 2024, en vigueur depuis le 27 juin 2024).
6. Faible rémunération : Les traducteurs, traductrices et interprètes juré·es accomplissent une mission d’intérêt général. Les tarifs pour le travail de traduction et d’interprétation jurées sont insuffisants et ne correspondent pas à la réalité économique, telle que l’a établi le Conseil Supérieur des Indépendants et des PME (CSIPME). Ils sont même inférieurs au seuil de rentabilité nécessaire pour pouvoir vivre de ses activités professionnelles.
7. Manque de protection : Le nouveau Code pénal dispose des peines plus sévères pour les meurtres et actes de violence commis sur des personnes exerçant une fonction sociétale lorsqu'ils sont commis à l’occasion de l’exercice de cette fonction. Malgré l’intérêt sociétal de leur mission et malgré leur rôle crucial dans des dossiers sensibles (terrorisme, criminalité organisée...), les traducteurs, traductrices et interprètes juré·es ne sont pas reconnu·es dans le nouveau Code pénal comme des personnes exerçant une fonction sociétale. De surcroît, leur identité ne peut pas être protégée, même dans les dossiers sensibles, ce qui compromet leur sécurité.
8. Des conditions de travail déplorables : Les conditions de travail des interprètes dans les bâtiments judiciaires sont souvent insuffisantes. Mauvaise acoustique, installations sonores défectueuses, absence de kits d’interprétation, débit rapide de parole des magistrat·es et des avocat·es, présence simultanée de plusieurs interprètes dont les voix se superposent lors d’une même audience, manque de connaissances préalables du dossier... tous ces éléments rendent les débats difficiles à suivre. Ceci combiné à des horaires de travail excessivement longs sans pauses complique la réalisation d'un travail de qualité. Les interprètes d’écoutes doivent souvent travailler dans des locaux de police mal équipés, dont le mobilier est délabré et sans lumière du jour.
Revendications que nous adressons aux députés fédéraux/députées fédérales et à notre futur gouvernement :
1. Budget suffisant pour les frais de justice : Évaluation adéquate du budget afin de garantir le paiement correct et ponctuel des frais de justice, conformément aux recommandations du Médiateur fédéral (AA14/02).
2. Revalorisation des tarifs : Augmentation des honoraires des traducteurs, traductrices et interprètes juré·es conformément aux recommandations du CSIPME (avis du 14 mai 2024).
3. Réglementation et structure tarifaire claires : Suppression des incohérences dans la législation relative aux frais de justice et élaboration d'une structure tarifaire transparente.
4. Systèmes administratifs efficients : Élaboration d’une plateforme simple et automatisée pour les commandes, les approbations et le traitement des prestations et des paiements, accessible à tous les acteurs de la justice et de la police.
5. Rapidité des paiements : Paiement des factures des prestataires en matière pénale dans le délai légal de 30 jours. En cas de dépassement, des intérêt de retard doivent être appliqués, conformément à la directive européenne concernant la lutte contre le retard de paiement et à la réponse de la Commission européenne à la question parlementaire E-002463/2021.
6. Sécurité et anonymat : Création, par le biais d’un arrêté d’exécution applicable, d’un numéro d’identification anonyme pour chaque dossier sensible, tel que prévu à l’article 555/11, § 2, du Code judiciaire dans les cas où il est exigé que l’identité de l’intéressé qui agit en sa qualité de traducteur et/ou d’interprète juré·e soit cachée pour des raisons de sécurité.
7. Une meilleure protection par la reconnaissance de notre fonction sociétale : Ajout des traducteurs, traductrices et interprètes juré·es à la liste exhaustive des personnes exerçant une fonction sociétale au sens de l’art. 79, 4° du nouveau Code pénal.
8. Amélioration des conditions de travail : Amélioration des conditions de travail des interprètes dans les tribunaux et les locaux de police. Des investissements doivent être réalisés dans l’optimisation acoustique et dans des équipements modernes d’écoute et de chuchotage. Il est nécessaire que les magistrat·es et avocat·es adaptent leur rythme de parole. Les interprètes doivent accéder au préalable aux informations pertinentes du dossier. En outre, des pauses régulières doivent être prévues systématiquement pour les missions de longue durée. Pour les écoutes, des locaux ergonomiques seront mis à disposition dans les bureaux de police et des logiciels performants seront mis à disposition. Ces mesures sont essentielles à la qualité de l’interprétation et à la régularité de la procédure.
UPTIJ (Union professionnelle des traducteurs et interprètes jurés) Contacter l'auteur de la pétition